- 95 - de Lourdes, sauvez-moi ! " ... Une salve retentit, je me sens atteint à la poitrine — et je m'affaisse..." Le pauvre vieux est retombé dans son fauteuil. " ...Quelque temps après, ayant repris connaissance, j'entrevois une forme qui se penche. D'un coup de revolver, on achève l'un de nous. Je ressens une violente douleur au sein geuche ; le sang s'échappe à flots. Je perds de nouveau connaissance... Revenu à moi, j'aperçois un soldat qui passe et repasse, éclairant nos visages de la lueur d'une petite lampe de poche. Je l'entends s'éloigner... C'est le silence et la nuit.., Je gémis, je gémis... Je me sens tout â coup emporté : c'est le bourgmestre et Mr H... qui me conduisent au lazaret de Mr le docteur de W.... On me panse : par miracle, aucun organe n'est atteint ; la balle, entrée à un centimètre du poumon gauche, est sortie sans l'atteindre. ...Je restai cinq semaines au lazaret, admirablement soigné par le docteur de W... et sa femme. Guéri, je reçus la visite d'un fonctionnaire allemand qui me lut un ordre : ' défense absolue de raconter quoi que ce soit "qui pourrait nuire à l'honneur de l'armée allemande" et obligation de dénoncer toute accusation de ce genre. Je ne ressens absolument rien de ma blessure. Je suis guéri complètement. Ulysse C..., blessé à l'épaule, doit être amputé du bras* gauche. Jean H.,, a aussi échappé. Mes autres compagnons avaient été tués sur le coup... Jean T... succomba dix jours après..." Ern. G. ®®®aaaaaaaa®®®®®®®a®®®®aaaaaaaaaaaaa Rages de l'Vser (Suite*) III. NOCTURNE AU FRONT Je me souviens des soirs mouvementés des "relèves,, dans les secteurs du front de l'Yser... Dès avant la chute du jour, au long des routes, des compagnies d'infanterie défilent. Puis, par des sentiers, des passerelles, des chemins dits de „colonne", s'acheminent vers les boyaux de communication et les lignes de tranchées. Peu à peu, le soir est venu, précédé des brumes qui aiment à s'essorer des plaines inondées de la Flandre. Des automobiles de la Croix Rouge sont venues des installations sanitaires, chercher aux postes de secours plus rapprochés des lignes, les malheureux blessés ou malades destinés à T'évacuation. De lourds et pesants chariots, traînés par de vigoureux chevaux, montent, montent, inlassablement, vers le front; les uns transportent des chevaux de frise de fils de fer barbelés, les autres sont chargés de la paille destinée à renouveler celle des abris ; ceux-ci amènent des passerelles, ceux-là des madriers; voici des planches, voici des broussailles, des claies, du béton préparé en tablettes de nougat (*) Voir le No. de La Patrie Belge du 21 décembre. d'un métré au moins, du gravièr, des sacs de la Patrie — que sais-je? encore. Des caissons d'artillerie s'en vont également porter aux canons les munitions nécessaires ; car, j'ai oublié de vous le signaler, le soir, une vie étrange s'agite autour des emplacements des batteries; tout le ravitaillement est apporté: tonneaux d'eau potable, vivres, matériaux et munitions. Le déchargement s'opère dans la demi-obscurité qui amplifie les ombres. Et des heures durant, dans la nuit noire, un cortège de voitures, une théorie de chariots longe les chaussées défoncées qui courent des villages de cantonnement aux lignes de défense de l'Yser. De loin en loin, là bas, sur le front ténébreux du ciel, des fusées montent, et leurs lueurs fugitives éclairent jusqu'au défilé du ravitaillement. Les chevaux piétinent dans l'ombre, les hommes s'interpellent. Il y a des convois qui vont et d'autres qui reviennent. Une rumeur monte de tout ce mouvement, de tout ce fourmillement dans la nuit. Ces routes, ces vastes espaces qui, dans la journée étaient silencieux et comme déserts, vivent maintenant d'un tumulte indéfinissable. C'est le ventre de l'armée des tranchées qui travaille. Cette comparaison, tout en n'étant pas très poétique, nous paraît assez exacte : le mouvement des nocturnes réguliers du front fait songer au vaste intestin d'un géant par où passent les aliments, qui, digérés tantôt, donneront des forces au cœur vibrant des premières lignes. Pour m'expliquer avec plus d'élégance, je dirai que j'évoque souvent, à voir ces convois dans la nuit cheminer vers les tranchées, le patient et obstiné labeur des fourmis rayonnant autour de leurs cavernes. N'est-ce pas une vraie fourmilière que la ligne des tranchées? N'y a-t-il pas des cellules, des cavernes, des places, des salles, des couloirs, et ne retrouve-t-on pas toute la minutieuse élaboration des infiniment petits qu'aimait étudier le grand savant entomologiste J.-H. Fabre? J'en demande pardon à nos officiers d'État-Major, mais ils m'ont l'air d'imiter le travail du monde des fourmis. Coupez une fourmilière... Non : ce serait cruel. J'aime les fourmis qui, comme moi, adorent travailler, muser un peu, aimer beaucoup leur labeur, et faire la guerre pour la guerre et l'aventure avec des raisons éminemment idéales et économiques. Tandis que lentement mais sûrement le ravitaillement s'assure par tous les chemins disponibles, tandis que les cuisines roulantes, où fume le café, où gigote le bouilli, où mijotent les fèves, vont s'établir derrière des ruines pour dérober aux yeux de l'ennemi les lueurs de leurs foyers, tandis que des ravitailleurs, par les boyaux, portent de grosses et noires marmites vers les lignes avancées, les bombes, les obus, les balles continuent leur rythme de bruit et de vacarme. Les convoyeurs, les conducteurs ne s'occupent guère de tout ce tapage. Ils vont leur petit bonhomme de chemin, tel qu'il leur est prescrit d'aller. Parfois, un incident rompt un instant la suite monotone et lente du cheminement vers le front : un cheval a glissé et est tombé; une roue de chariot s'est enlisée ; un camion a semé un peu de son charge ment ; une automobile a dû passer, dérangeant toute la succession des voitures... Peu à peu tout se rétablit et c'est comme un train de voitures qui vont, montent, descendent.

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