L'événement illustré: revue hebdomadaire, documentaire, artistique et littéraire

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L'ÉVÉNEMENT ILLUSTRÉ — N° 102 Les femmes, d'après les personnes bien informées, s'étaient emues d'un tel état de choses dont, parait-il, elles avaient à se plaindre. Elles avaient gagné à leur cause l'hôtelier du Spitzberg, qui devait au maintien de sa neutralité, les égards et la considération flatteuse des gouvernements européens. Cet homme digne avait reçu les mandafrices des femmes d'Europe choisies parmi les plus belles d'entre elles! avec la plus grande courtoisie, mais sans rien perdre du calme froid qu'il devait à une longue existence dans les régions polaires. 11 n'embrassa que la cause de la paix dont les jolies ambassadrices avaient assuré la défense par un feu roulant d'irrésistibles arguments, accompagné de lancement d'oeillades enflammées et d'émission d'odeurs enivrantes. „ Son intervention, en dépit des prévisions des pessimistes, avait été couronnée de succès, et l'Europe venait de rentrer dans cet état anormal de l'humanité qu'on appelle la paix. „ Libéré un des derniers, je descendis un beau matin (car les matins dont parlent les histoires sont toujours beaux) à la gare de la ville où j'avais mon domicile avant la guerre. „ Voulant faire une surprise à ma femme, je ne l'avais pas averti de mon retour. „ Je gagnai pédestrement ma maison, recommandant mon âme à Dieu, chaque fois que je traversais une rue où des véhicules Jde^tous genres se croisaient rapidement et au milieu desquels j'avais, depuis quarante-quatre ans, perdu l'habitude de me diriger. „ Je remarquai que les passants me regardaient avec une curiosité amusée, mais je compris vite que mes vêtements de coupe lu 15, agrémentés de bandes et d'un brassard jaunes, devaient être la cause de cette douce gaité. Une petite fille qui considérait avec intérêt le V. de mou pardessus me fit obligeamment renia;quer que je serais grondé pour m'ètre assis étourdiment sur un banc fraîchement peint. » Je m'étonnai de ne point rencontrer au coin de la place Verte, comme en automne 1914, le pharmacien de mon quartier décrivant sur le sol, avec le bout de sa canne, des positions d'armces dont il expliquait les manoeuves enveloppantes au notaire, son voisin, qui l'écoutait, sérieux et grave, comme écoute un notaire. „ Je ne tardai pas à arriver devant ma maison. Maîtrisant une émotion facile à concevoir, je sonnai. Le rideau d'une fenêtre voisine de la porte fut écarté et j'entrevis une tête de vieille femme qui disparut aussitôt. ' 1 » Peu après la porte s'ouvrit et la vieille dame me tendit un morceau de pain en m'enveloppant d'un regard de pitié compatissante. . J'attribuai cette méprise à ma barbe que je gardai depuis 1935. . Ne reconnaissant pas la personne charitable qui était devant moi et, dans la crainte que ma femme n'eût quitté la maison, je crus bon de ne pas me nommer tout de suite, me contentant d'interroger : . — Ne suis-je pas chez Madame Collignon? • — Si, mon brave homme. » — Je viens de Senne ei je vous apporte des nouvelles de M. Zéphir Collignon. « Aussitôt la petite vieille pâlit et me pressa d'entrer. Je fus intro- QUrt dans un Detit salon dnnt it» r#»rnnnni««fliç n\rt»r émniinn mptt. bl<de mon jeune ménage. Sur une sellette, dans un angle du salon, je reconnus mou chien favori, empaillé. „ Je considérai de plus près la vieille dame qui m'indiquait un siège et je crus la reconnaître. Le moment de brusquer un peu la situation me paraissait venu. Je lui dis, assumant mon air le plus aimable : . Vous ave,! bien peu changé, chère belle-maman, et les années oui à peine vieilli votre figure. - Je n'essaierai pas de dépeindre la stupéfaction qui se répandit sur le visage de mon interlocutrice, et je sentis vaguement que j'avais dû commettre une de ces gaffes prodigieuses dont j'ai l'inspiration naturelle et féconde. „ La petite vieille, dont les yeux brillaient d'indignation, me répondit d'une voix sifflante : , Je ne comprends rien à celte plaisanterie d'un goût douteux, Monsieur! J'ai épousé M. Zéphyr Collignon en 1913, Nous n'avions pas d'enfants lorsqu'il fut fait prisonnier et sachez que rien dans ma conduite depuis notre séparation n'autorise qui que ce soit à se recommander d'être mon gendre! „ On juge de mon ahurissement! Ainsi, cette petite vieille ratatinée qui se trouvait devant moi était ma femme, mon Euphrasie, que j'avais quittée, si jeune et si fraîche, quarante-trois ans auparavant. „ Les souvenirs de notre lune de miel, interrompue par la guerre, m'assaillirent tumultueusement à la vue de cette femme qui m'avait comblé de caresses. Une indicible émotion me poigtiait et je m'écriai : „ -- Oh mon Euphrasie, je suis ton Zéphyr; ton Zéphyr qui te revient et qui t'aime comme au premier jour! Embrassons-nous, ma chérie, et reprenons notre lune de miel interrompue pendant quarante ans! quarante ans que j'ai passés sans faillir à la fidélité que je t'ai jurée! „ Et me précipitant dans ses bras, je posai mes lèvres brûlantes sur sa joue. „ Horreur! le contact fut glacial. „ Je m'éveillai et je m'aperçus que j'embrassais ma gamelle que j'accroche à la tête de mon lit. „ Mes yeux rencontrèrent mes sabots sur lesquels rfifS feuille aetacnee au calendrier était lombee. Je lus la date : '34 décembre 191b. . Et je remerciai du plus profond du cœur, le bon NoOl qui, en mettant cette date dans mes sabots, me rappelait que je n'en suis qu'l mon vingtième mois de captivité! " ZAIBERT. Le numéro de Noël du «Z» est le bienvenu parmi nous. C'est toujours avec un égal plaisir que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs quelques pages de ce petit périodique, qui nous apporte des nouvelles de nos ch< rs prisonniers du camp civil de Senne. Sa lecture prouve que leur état d'esprit continue à être ex<ellent et qu'il règne entre eux une cordialité, q i ne cesse de se manifester en d~ bonnes œuvres pour le plus grand profit des prison, ieis moins privilégiés par la fortune. C'est avec une profonde sincérité que nous leur envoyons, à notre tour, nos vœux les meilleurs et l'assurance de notre active sympathie.

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