La patrie belge

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lre Année N° 5 BUREAUX de la Revue BRUXELLES : Boul. Lambermont, 46t ANVERS : 28, Courte rue Neuve, 2( La Patrie Belge Revue paraissant le Samed PiîrAntp»nr • OR. OFlYNST — Sprrpfairp Hp In rpHnrtinn • dhnrlps TYTHAT Abonnements Belgique : un an fr. 2 Étranger, port en plus Pour les annonces S'adresser au bureau de EMILE FRANCQUI Président cJu Comité National L'idée de la création du Comité National fut conçue par M.Ernest Solvay; et celui-ci chargea son petit-fils,M.Emmanuel Janssen, qui devint un des artisans le plus dévoué de 1' œuvre, de négocier avec M. Max, avec la Société générale, avec d'autres personnalités. Or, tandis que M. Janssen se trouvait dans le cabinet du gouverneur de la Société générale, M. Jadot, et lui exposait le projet, quelqu'un entra. C'était l'un des directeurs de l'etablis-sement : M. Francqui. On parla de ce qu'on allait faire, des formidables difficultés de la tâche. Et M. Francqui, enthousiaste, déclara : "Je suis votre homme, disposez de moi.,, Il avait vu tout de suite l'ampleur et la généreuse beauté de l'œuvre. Il avait vu la possibilité d'agir, d'agir quand même, utilement, en cette heure où l'on était menacé du mal intolérable de l'inaction. Et puis, il y avait eu ce mot : difficulté. Il semble que la vraie passion de M. Francqui soit là. Il aime les difficultés, il aime se battre avec elles, et les vaincre. C'est un conquérant. Il éprouve de la joie à mesurer sa force, à renverser des obstacles. Le financier d'aujourd'hui, le financier récent,fut d'abord un soldat, un soldat d'une trempe particulière. Engagé à quatorze ans, sous-lieutenant sorti du cadre à dix-huit, au Congo quelques mois plus tard pour s'évader delà vie de garnison et pour agir, pour agir quand même, pour affronter les difficultés. A cette époque, on exigeait des officiers voulant aller au Congo la connaissance de l'Anglais. Francqui ne savait pas l'Anglais; et il réussit à partir quand même. Là bas, il fallait un homme pour construire des ponts sur la route des caravanes. Francqui n'avait jamais construit de ponts. Il se chargea de cette besogne et mérita des félicitations quand même; à vingt-deux ans il était chef de district. A vingt-quatre il remplissait une mission diplomatique au Transvaal et avait à faire au puissant Cecil Rhodes. Et puis il commandait la délicate campagne de l'Uelle, faisant face à l'action française ; et puis enfin, il allait en Chine, et il jetait les bases des grandes entreprises belges, au millieu de compétitions avides des puissances ambitieuses de résoudre chacune à leur profit les problèmes économiques engageant l'humanité toute entière. Une telle carrière a accentué chez l'homme tout ce que la nature avait mis en lui de décision, d'esprit d'autorité et de goût passionné de la victoire. Elle l'a aussi accoutumé à voir grand, à ne s'effrayer ni des chiffres fabuleux ni des responsabilités lourdes. Il paraît considérer les uns et les autres avec une curiosité amusée et orgueilleuse, un peu gamine : „Ah ! ah ! te voilà. A nous deux !" Au fond, il est toujours soldat, soldat d'Afrique. Il ne s'embarrasse pas de phrases et de précautions. Il fait front, arrête sur l'obstacle son regard noir, et marche, avec une exclamation énergique. Seulement, ce regard noir est un regard réfléchi. Et l'exclamation énergique est machinale. Tandis qu'il la profère, Francqui médite son plan d'action. Et si parfois on l'entend dire : „Je m'en f...iche !" — on prétend l'avoir entendu — soyez en sûr, il ne s'en fiche pas. Il réfléchit, mais pour s'en apercevoir, il faut être très attentif, tant la décision est rapide. Tandis qu'on lui expose le problème, le problème embarrassant, il se cale sur son siège et regarde le mur ou le plafond. Il semble qu'il n'écoute pas, qu'il soit distrait, qu'il n'ait pas entendu. On se tait, quelques secondes s'écoulent. Le regard contemple toujours le mur ou le plafond. Puis, tout à coup, les yeux plantés sur l'interlocuteur, Francqui prononce : „I1 faut faire ceci, parceque..." Et le raisonnement bref se défoule, précis comme la démonstration d'un théorème. La réponse laisse rarement place à l'objection, tant elle est lucide. Mais si l'objection se présente, il faut voir comme l'argument immédiatement bondit, péremptoire et presque toujours pittoresquement exprimé, avec une verve rude. De cette verve, qui sait être terrible, M. Von der Lancken et quelques autres d'entre nos maîtres d'hier, doivent avoir un souvenir cuisant. C'est merveille qu'un tel homme, un tel réalisateur, se soit trouvé à côté de M. Solvay, d'un tel initiateur. A deux, d'ailleurs, si différents qu'ils paraissent, ils pouvaient facilement être d'accord; ils ont l'un et l'autre l'habitude des vastes conceptions, des grandes éntrepriees en lesquelles, toujours, l'idée et l'action se rencontrent. C'est merveille qu'un tel homme, accoutumé à l'action hardie, à l'autorité, au maniement des autres énergies, qu'un tel homme habitué à obéir aux raisons et aux impulsions du conquérant, ait soudain et avec tant d'aisance, transposé son action, lui ait donné pour guide le sentiment de la solidarité, la sollicitude envers la collectivité. Et peut-être cela est-il moins surprenant qu'il ne paraît à première vue. Le conquérant de cette sorte, celui qui se bat en Afrique et celui qui négocie en Chine des concessions de chemins de fer ou de charbonnages, sait bien qu'il représente une collectivité et que de celle-ci il est solidaire ; il travaille pour elle comme elle travaille pour lui. Claude.

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