L'événement illustré: revue hebdomadaire, documentaire, artistique et littéraire

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A TRAVERS uN CHAMP DE BATAILLE Nous n'imaginons guère, pour ne pas y avoir été nous mêmes, ce que peut être un champ de bataille après que le combat y a fait rage. Il faut avoir vécu ces heures de gloire et de mort pour pouvoir en garder l'exacte vision... ... Dans un champ de betteraves, racontait un soldat, des képis épars, des lambeaux d'uniformes, des épaulettes, des ceinturons disaient la rencontre farouche, du formidable duel d'artillerie qui avait duré douze heures. Mais surtout ce qu'on heurtait à chaque pas, c'était des débris d'armes, des sabres, des baïonnettes, en si grand nombre qu'ils semblaient être une végétation de la terre, une Ce qui bouleverse plus encore, ce sont les corps des chevaux sur le flanc, qu'on rencontre en grand nombre. Il y en a vraiment de lamentables, dans des attitudes affreuses, la tête arrachée, les flancs crevés, laissant couler les entrailles. Beaucoup sur le dos, le ventre énorme, dressent en l'air leurs quatre pattes raidies, pareilles à des pieux de détresse. La plaine sans bornes en est bossuée. Quelques-uns ne sont pas morts après une agonie d'une journée et ils lèvent au moindre bruit leur tête souffrante, la balancent à droite, à gauche, la laissent retomber, tandis que d'autres, immobiles, jettent par instant un grand cri, cette plainte du cheval mourant, si particulière, si /Non loin des tranchées. moisson qui aurait poussé en un jour abominable. Des gamelles, des bidons également jonchaient les chemins, tout ce qui s était échappé des sacs éventrés, du riz, des brosses, des cartouches. Et les terres se succédaient au travers d'une dévastation immense, les clôtures arrachées, les arbres comme brûlés par un incendie, le sol lui-même comme creusé par les obus, piétiné, durci sous le galop des foules, si ravagé qu'il paraissait devoir rester à jamais stérile. La pluie noyait tout de son humidité blafarde, une odeur se dégageait, persistante. Cette odeur des champs de bataille qui sentent la paille fermentée, le drap brûlé, un mélange de pourriture et de poudre. effroyablement douloureuse, que l'air en tremble. Du haut d'une pente voisine, une centaine de chevaux libres, sans cavaliers, quelques-uns encore portant tout un paquetage, dévalent, roulent d'un train d'enfer. Ce sont les bêtes perdues, restées sur le champ de bataille et qui se réunissent ainsi par instinct. Sans foin ni avoine depuis deux jours peut être, quand la faim les cingle au ventre comme des coups d'éperons, les bêtes partent toutes ensemble d'un galop fou, elles chargent au travers de la campagne où le canon gronde, écrasant les morts et achevant peut être un blessé. 555

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