Juin 1918 (2me Année) N° 18 Autorisé par l'Autorité Militaire VIVE NAMEUR PO TOT Directeur : Léon DEL O O Z, Z. 1 50 Journal Mensuel Calais-— >V' T. 5, Rue de Valcqeleqqes La Place d'Armes, à Namur J'allais vous offrir ce mois la Place d'Armes, avec l'Hôtel de Ville, et les mois suivants plusieurs autres vues de la ville, prises pendant l'occupation. Mais, c'est la guerre, et voici que" « Vive Nameur po tôt » a été torpillé. Veillant avec un soin jaloux sur ces précieux documents, qui avaient eu tant de peine à franchir la frontière, nous voulions leur épargner les risques du front. Les bureaux de « Notre Belgique » les avaient gen-tillement recueillis. Mais la malheureuse torpille qui livra les papiers du bureau à tous les vents, engloutit nos chers clichés dans les décombres. Nous arriverons bien par vous donner encore d'autres vues. On a beau nous torpiller, toujours nous clamerons « Vive Nameur po tôt ». Ci-dessous, le texte qui devait accompagner la vue de la Place avec l'Hôtel de Ville. C'est H. D., un vrai Namurois, qui is signe. # # # L'étrange, la poignante impression que celle dont j'eus le cœur serré en recevant cette photographie ! Etait-ce bien là notre vieille, et paisible, et familière Place d'Armes ? Je la revoyais, le matin envahie par les maraîchers et grouillante comme le carreau des halles, l'après-midi traversée par les touristes pressés, le soir animée par une foule attentive groupée autour du kiosque ruisselant de lumière et d'harmonie. Elle était, comme notre population, accueillante et bon enfant. Non, ce spectacle de destruction sauvage, ce n'est pas elle, et je la retrouverai, à mon retour, telle que le souvenir me la représente... Illusion ! Cette Place d'Armes que voit eneore notre regard intérieur, nos yeux la chercheront en vain dans la réalité. Des ruines, des décombres, la voilà. Et lorsque d'autres édifices auront remplacé ceux qu'incendia la rage des bandits, notre mémoire refusera de la reconnaître, et quelque chose s'efïacera en nous. Il y aura une Place d'Armes ; la nôtre, l'ancienne, celle qui fut témoin de notre activité joyeuse et des fêtes de la paix, rien ne nous la rendra. Pourquoi nous le dissimuler ? Bien des choses — hélas, bien des êtres — manqueront aux lieux où-a-oire-'' cœur et nos habitudes comptent renouer avec le p'àsSi Alors seulement, nous comprendrons. Les monuments de pierre ne suscitent en nous que de chers souvenirs. D'autres disparitions creuseront dans notre âme des vides bien plus profonds et plus douloureux ; d'autres changements apporteront dans notre existence des devoirs nouveaux. Il faut le dire courageusement : la vie n'aura plus pour le grand nombre sa douceur de jadis. Une cassure formidable séparera ces deux époques : « Avant la Guerre », « Après la Guerre ». Que nous réserve la seconde ? Mystère, certes. Nul ne peut plonger son regard dans ces perspectives que voilent les fumées de la lutte. Mais mystère que ne redoutent pas ceux qui dès à présent l'abordent d'un front résolu. Le sens profond d'un mot de la langue chrétienne : « détachement », nous aura été révélé. Maintenons notre âme à la hauteur où la souffrance l'aura projetée.L'amour de la patrie, débarrassé par de terribles coups des broussailles qui l'étouflaient, est devenu une des colonnes de notre être. Ne souffrons pas que la sécurité recouvrée le diminue. La Belgique couverte de plaies aura besoin de nos cerveaux et de nos bras. Préparons-nous par l'étude et la méditation, par le sérieux et la dignité de notre vie, à notre tâche- future. Si humble qu'elle soit, elle sera grande et utile si nous y apportons l'esprit de devoir, le souci de la perfection, la volonté de n'ignorer rien de ce qui s'y rapporte. Et surtout, ne versons pas dans l'erreur de certains esprits étroits ou chagrins, pour lesquels tout est perdu parce que notre maison est en ruines. Croient-ils que l'industrie et le négoce soient le tout de l'existence ? Ignorent-ils la puissance des impondérables ? Soyons de ceux qui, sans nier l'importance des questions économiques, s'obstinent à placer au-dessus de la richesse matérielle celle que tout l'or du monde ne saurait procurer, celle où la rouille et les vers ne peuvent mordre, celle qui engendre les autres par surcroît. La grandeur morale de la Belgique sera le meilleur ressort de son relèvement. Avant toute chose, gardons de toute atteinte, et notre foi et notre âme. H. D.

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