N° 10 - JUIN 191 SAINT-MICHEL BULLETIN DE GUERRE des Anciens des deux Collèges Saint-Michel de Bruxelles ., , l Pour l'Ancien Collège, à Jos. GUFFENS, C. 172, 11e. Adresser les Communications 1 „ , _ TJ^TTOO-C1T _ . , _ _ __ f Pour le Nouveau College, a G. HEURSEL, G. 202, 1er Groupe, E. M. Roger GOBERT Au moment où, tout joyeux, nous allions annoncer la guérison et le retour au front de notre ami, le sous-lieutenant Roger Gobert, nous apprenons, l'àme navrée, sa mort. Il est tombé en héros, sans angoisse et sans trouble, en plein jour, dans les tranchées de première ligne, face à l'ennemi, frappé d'une bombe. A ceux qui l'ont connu — et son àme était si droite et si tranche que peu de jours suffisaient à le connaître et à l'apprécier — il est inutile que le Saint-Michel rappelle ici les traits du cher disparu ; tout ce que nous en dirions serait impuissant à traduire et notre amitié et notre douleur. Mais nous voudrions que ceux-là même qui ne connaissaient de lui que les vers charmants écrits et publiés pour eux dans ce bulletin pleurassent avec nous le condisciple aimé dont le Saint-Michel porte le deuil aujourd'hui. C'est le cœur tout saignant que nous voulons rendre ici un hommage ému à sa chère mémoire et tâcher d'évoquer l'attachante physionomie de celui qui fut l'ami de notre enfance, le compagnon de nos années d'études, le confident de nos jours de peine et de joie, notre collaborateur dévoué et obligeant entre tous. Pauvre Roger ! Pauvre cœur de poète ! C'était une àme fine et délicate, exquisement tendre et sensible, trop douce pour les chocs de la vie. mais capable de tous les dévouements, vibrant, s'échauffant, s'exal-tant à la flamme de tous les enthousiasmes Hélas ! plus haut et plus vite monte le rêve, plus loin poursuit-il la chimère, et plus terrible aussi est la chute dans le réel, plus douloureuse la meurtrissure du cœur pantelant au milieu des débris des ailes rompues. Les lendemains glacés des jours de fièvre, les contre-coups accablants des déchirantes désillusions avaient peu à peu empreint de scepticisme l'âme de Roger Gobert. Longtemps son cœur «e partagea entre le cruel regret des rêves envolés et l'ardeur soudaine de nouveaux et plus grands espoirs. Sur ces entrefaites la guerre éclata. Après dix-huit mois de séjour au front pendant lesquels il avait beaucoup souffert, vaillamment combattu et gagné ses étoiles de sous-lieutenant, fatigué, malade, épuisé par ses efforts tenaces pour rester à son poste quand même, il dut aller soigner à la Côte d'Azur une grave atteinte d'albuminerie II partit avec notre pauvre ami Stanislas Delhaye, oubliant sa propre souffrance pour distraire et adoucir la convalescence du malheureux aveugle, réusissant à lui conserver l'optimisme et la confiance tandis que lui-même, qui avait tant besoin de bonheur et de tendresse, . ne trouvait plus dans la vie qu'amertume et dépit. Mais un jour tout changea. Le Ron Dieu avait mis dans son cœur la lumière d'un tendre amour; il était fiancé. Peu de temps après, le j février, nous apprenions son mariage. Une voie droite et claire, une vie de bonheur calme s'ouvrait devant lui, succédant aux misères, et il bénissait cette radieuse aurore avec toute l'ardeur de son àme. Tout enivré du pur bonheur de vivre, d'aimer dans la paix reconquise, d'avoir, au-dessus des divagations de l'imagination et des surprises d'un cœur trop sensible, un principe d'ordre, de durée et de stabilité, il nous écrivait : « J'aime, je crois, j'espère. La vie me sera-« ble plus belle, les hommes moins méchants. » Et nous étions joyeux et nous bénissions Dieu de lui avoir montré, au carrefour des routes de l'existence, le chemin de la vraie vie. El nous aurions voulu que notre ami continuât à jouir de son bonheur et qu'il ne revint au front, comme tes médecins le lui conseillaient, que parfaitement guéri. Mais lui ne l'entendait pas ainsi. Le n février, il écrivait : « J'aurais pu rester ici encore quelques « mois, d'autant plus qu'un reste d'albuminerie s'obs-« tine à ne pas disparaître. Mais je souffre de mon « inaction et je ne veux pas que mon bonheur me « fasse oublier que mes camarades, là-bas, sont sur « la brèche et que j'ai un devoir sacré à remplir. » Il fit comme il avait dit, demanda son retour au front qu'on hésitait à lui accorder, batailla pour

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